LA VENDANGE BLANCHE


Cet automne la journée est blanche
et abandonne en plein air son don d'abondances.
Le matin nous avait étourdi avec
ses foules de cris et de claires, 
mais, alors que les distances nous ont déserté,
tout ce qui est resté 
c'est du chemin à faire.
L’ après-midi se laisse grimpé 
par les policiers qui escaladent l’immense taupinière 
du favéla en face de mes vitrages.
Le soleil les témoigne et les accompagne 
en montant la pente assis
au-dessus des dos courbés des chaumières.
Et les hanches se balancent accrochées 
au rocher noir allumé
par l’aveuglante clarté.
Les arbres fleurissent des ramages
et les murmures des immeubles de l’entourage 
ni ne plaisent ni n’ennuient.
Ce ne sont que les traces d’une nouvelle journée 
que s’épuise à bout de soufflé,
car elle ne sait pas comment faire pour devenir 
autre chose que pleine nuit,
et petit à petit se cache à sa grande honte,
et, pour qu’on puisse suivre à sa poursuite,
on est censé se plier er ramasser les ombres,
maintes fois mourir, maintes, réveiller.
Mes yeux, mes oreilles, ma bouche.
Je sais bien que je n’ai pas été fait pour discerner
au-delà de la solitude de mon corps.
Toutefois, j’accomplis mon voyage d’automne
et accepte ces couleurs que je ne me suis pas procurées,
mais que si s’écoulent à mon insu de mes pores
tel une jouissance mal à l’aise, crispée et bougonne.
Dehors er dedans, tout ce qui existe
c’est un soleil et une butte.
Et tout autre opposition inutile,
sinon dérisoire: comme sur l’eau pauvre d’une flaque
reluisent les joyaux des étoiles,
ou comme à midi les teints se disputent
et s’éparpillent en des nuances invisibles,
tandis que l’instant petit à petit s’enfuit
des temps de horloges vers celui de l’infini.
Les savants de l’Orient nous ont appris
que chaque homme n’est qu’un chemin.
Et le temps, les marges du chemin.
L’ éternité, les marges de la marge,
cet tépide bleuissement qui nous sourit en coin,
mais que l’on ne ressent ni s’en aperçoit,
et qui demeure néanmoins là-bas,
au-dedans de nos vides, muets à tel point
qu’il est difficile à comprendre
que l’on jamais n’existe. 
Entre-temps, il y a partout les routes.
Elles nous parcourent, nous courbe, nous envoûte.
Elles partage cette sale poussière
qui fait toute notre matière.
Mais combien de voies parviennent à un homme?
Je n’ai jamais pu entendre en outre de ce qu’on nomme
ni connaître la contre-face des nos mensonges.
Les juifs ont conclus à tort que le Seigneur
serait le juge de notre perfection ou perversion de moeurs.
Or, qu’aurait-il-à faire à propos de ce qu’on fait ou laisse de faire?
La ville est une affaire de hommes et seule des hommes,
des disputes de terrain que nous avons affaire
à nos seuls pairs, les autre hommes 
en os et chair.  
Car nos destinées, nous les avons nous-mêmes choisies,
de la même sorte que tout ce qui nos guette
a été à notre gré établi:
la texture de cette assiette, 
l’odeur de renfermé d’une bibliothèque,
la bonne qui fait semblant de 
l’épousseter, et qui vous porte du café 
et qui n’est ni bonne ni mauvaise,
pas même laide ou bien faite, 
peut-être une portion de chaque grâce ou échec, 
de façon simultanée et biaise 
à toute autre prétention de vérité.
Et ses garçons maigres, nous les décidons, 
ainsi que les chambres grêles où ils font les rêves
qui les rêvent, et dont ils se lèvent 
en endormant. Ou qui un beau jour les éveilleront 
en les secouant. Et ça reprend.
Hors de scène, 
le jour qui se tenait debout perd tout haleine.
Dans la chaleur des rues presque consumées,
une lourde pénombre 
met les corps à fondre.
Alors que la lueur, au fur 
et à mesure de son usure,
détache un voile épais de fumée 
qui se dissipe lui-aussi peu à peu.
Et ça n’est désormais plus dans les yeux
ni derrière les étants qui se laissaient voir auparavant.
Tout feu ne dure donc que chez nous,
dans une enceinte 
ou clairière mal éteinte, 
mais qui à l’égal s’hachura graduellement de son tour,
puisque nous mêmes n’avions été après coup
que des souvenirs remis à jour.

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