LA CONSOLATION DE LA POESIE



I

Il est midi pile, et la marche des heures accomplit 
au bleu une arche infinie
sur la toiture sans couture de Paris.
Plus que des mots, 
des gestes mûrs se dégagent des murs
tatoués qui servent à démarquer propriétés,
corps, libertés d'aller e venir, souverainetés.
Mais le temps court si vite, 
qu’on dirait qu’il nous dépasse hors-jeu, 
donc, si on veut le rattraper,
il est mieux de raccorder nos pieds,
sans risquer de nous écarter ou d’en dévier les yeux.
Il faut alors que je prenne mon déjeuner
et sorte pour promener le chien
et mes membres engourdis de la fraîcheur du matin, en me rendent vers l’obligatoire marché,
devoir de qui se trouve en convivialité.
Parce que nous sommes, au-delà des utopismes,
au fond de fait identiques,
or, nous sentons tous faim, soif et sommeil, 
appétits de bonheur, de justice et beauté,
tracs et craintes, désir sexuel
et toutes les autres circonstances qui conforment 
l’ainsi-dite essence humaine ou son inexistence plus précise.
Car nous sommes égaux par nécessité, et seuls nous séparent
des piètres contingences superficielles, de nuances de peau, gendre, croyance, couches ou tenue sociales,
verbiage ou argot.
Car nous sommes par nécessité égaux,
et nous allons tous à la place,
et tout ce qu’on y fait c’est notre commun propos ou notre commun héritage,
et tout ce qui s’on y dit ou reste omis
c’est de notre avis.
Donc, je rouvre ma porte et la délaisse ouverte, 
mes clés, je les ai ratés,
mais je compte aussitôt me retrouver
à l’égal perdu
parmi ces détours qui nous guettent.
Sur le chemin, je faillis être renversé par des foules de hommes affolés. 
Mais s’ils risquent un salut ou un sourire timoré,
je redoute qu’il n’y ait personne sous leurs gestes vidés. 
Il demandent n’importe quel direction,
mais ils ne se trouvent ni ici ni à destinations,
là où les apporteront les sens insensés
des rues enchevêtrés.
Je réfléchis que ces chemins mi-éclairés 
des rues longés d’édifices de commerce 
vertement me déplaisent
parce que je préfère la sale lumière
de la journée tombée à pic
tel un fard à paupières aux couleurs en biais et aseptiques
des panneaux d’affiches et des vitrines,
qui font éblouir aux vues une folle cécité
qui interdit les miroirs et la solidarité.
Mais je ne désire pas d’autre monde,
puis que je m’en occupe déjà du nôtre. 
De même, je ne ressens pas envie du ciel, 
puis que je le tiens sur mes épaules
et peut m’alourdir autant qu’une stèle. 
Je n’envisage pareillement pas l’ombre,
du moment que je la traîne accroché aux pieds, 
pour le cas d’excès de paix ou de danger.
Or, je parasite toujours ma chair,
et ça seul peut me satisfaire,
puis que je continue comblé du sol qui m’enfonce 
jusqu’au bout des mes ongles,
renfermé sans conditionnelle dans une ville
où j’assiste,
sur les chemins de paralysie et de vitre,
aux corps inoccupés
de ceux qui ne se sont toujours pas réveillé.

II

Je reviens à la maison
laissée en abandon.
Épreuve matérielle de la totale inserviabilité
des agents immobiliers.
Elle n’abrite plus depuis longtemps des habitants,
dorénavant insiste en loger
des mémoires et des revenants.
Elle a sa propre volonté et sa propre moteur.
Si des colombes se nichent dans les interstices des heures, 
c'est que une ombre encore plus grande
n’est pas tout de même pesante
et s’envole vite d’une vitre brisé ou béante.
La lampe de la cuisine éternise
une cohabitation métallique 
dans le vide autour d’une table débarrassée.
Des échos sporadiques
répètent les creux des buffets.
Plus avant, depuis les escaliers,
les marches en bois tantôt aboient, tantôt gémissent,
faute de pas.
Dans un couloir, un vent s’est installé
en hôte définitif,
malgré la rénitence des portes et du tic congénitale de les isoler au vif.
La douche disperse l’eau
du labyrinthe des tuyaux
au lieu de la guider dans sa chute.
Et il serrait si simple de la faire réparer... 
Toutefois, il se serre les dents, il lutte, 
têtu comme une mule,
en dépit de l’art des plombiers
et des efforts gênés et impatients
d’un visiteur aussi obstiné
mais peu au courant
des anicroches du bain,
et qui se désespère, qui vitupère, qui gronde, 
et ensuite cherche le torrent soulageant de l’eau chaude,
mais se résigne et enfin s’effondre
dans le défi de déchiffrer
dans l’embrouillement des robinets
où se cache cette espèce de maneton
qui sert à tirer la courroie du bouchon.
Il y a tout un rythme qui ressort des boyaux, 
des toilettes et lavabos,
ainsi que des chiens
qui disent salut aux humains
depuis l’arrière-cour.
La maison entière est de sa façon
une orchestration dans ou hors-saison
de gazouillements à vent et de craquements sourds, 
de poufs sans raison et des cordes des jurons
dans une parfaite harmonie de cours.
Je suis le fantôme ou pitre aux prétentions de titre.
J’y
suis le bruit.

III

Si des lettres me cherchent, renvoyez-les sans retard. 
Je n’y suis ni pour les factures ni
pour n’importe qui.
Congédiez le postier en lui souriant lorsqu’il repart. 
Dites-le que je me suis égaré à mon gré.
Ainsi qu"une ballese perd dans une écharouflée, 
ou tel que omme se cherche en vain
une aiguille dans une botte de foin.
Où de la même façon que l’on vite s’en éloigne
dans les discussions d’amour la vue du point. 
Ou comme on souvent s’écarte
d’un chien en mégarde de la promenade,
ou, enfin, tel que la compassion, en excédance, 
se déroute vers l’indifférence.
Si des amis m’appellent au téléphone, 
informez ceux qui sonnent
que je ne veux pas qu’ils se dérangent 
en remarquant mon absence.
Qu’ils ne s’en fassent aucun souci,
ni ne polluent mon repli
par des annonces de disparu ou par le fracas 
éparpillé de pas. 
De sorte que tout bruit se garde
pour l’oreille muette des parois,
ou pour la curiosité inné du voisinage.
Et si les oiseaux imposent le silence
à l’azure, soit-il pour révérence,
et non pas pour m’offrir des condoléances...
J’ai besoin de demeurer seul pour que, 
quand je puisse retourner,
j’arrive à reconnaître comme vôtres 
les larmes à m’éclairer le visage sombre, 
celles que mes yeux vous ôtent,
bien que je ni ne les mérite ni n’en rende d’autres.
Mais la solitude comprend, du moins, la moitié
de notre nature mêlée,
et il faut désormais s’y habituer:
des jours nous visiterons avec ses bras qui se cassent 
avant qu’ils nous embrassent,
et leurs yeux souriants,
nous n’entendrons plus ni n’arriveront 
à apercevoir ce qu’ils diront.
Ne m’attendez point.
Si vous devez partir, ne vous détenez pas. 
Un jour la voix surviendra au soin,
mais, pour l’instant, tout ce qu’il y a
c’est son manque. Réassurant,
un silence nous dit des mensonges.
Et une sueur nerveuse et pleine de honte 
écoulent des mots.
Elles sont devenues insensés,
elles déraillent nos propos,
en se lavent nos erreurs des leurs mains, 
à l'attente des matins
qui tardent plutôt de trop.

IV

J’avoue que les hommes ne sont pas faits pour ouïr comme une conque, 
ni n’usent retourner en amour l’amour qu’on leur donne.
Ils savent qu’ils doivent assassiner les choses qui les entourent,
et qu’il leur faut poursuivre leurs travaux coûte que coûte,
pour pouvoir ainsi assouvir le monde e s’acheter sa bouffe.
Et qui cette amertume même tresse
la trame profonde de nos gestes:
nos actions, que de douleurs elles apprêtent, 
même lorsque inconscientes ou involontaires, 
nos laisser-aller et laisser-faire
blessent le monde de telle manière
que le mal semble être
banale et en plus nécessaire,
tandis que la bonté
paraît surtout pareille
à une bravade cinglée,
ou à une maison toute belle,
mais privé de plancher.
Et pourtant, nous pourrions la doter, 
au minimum, d’une nécessité sur le pied,
non pas formelle ou à coup de référendum,
mais concrète, telle un plat ou une fourchette.
Au lieu d’insister à ruminer les remords
d’un enfant que nous n’avions plus espéré.
et qui dans le brouillard d’où il s’est généré 
de son ressort, nous sommes demeurés 
incapables de lui accorder de corps.
Par contre, en nous reposant au sommeil des idées rebattues, 
nous dormons une paix qui est moins paix
que renonce au vrai:
la paix sans paix, la paix des disparus,
la paix des armes empoignées,
le faire-taire des gendarmes sur les pavés, 
l’omniprésente et millimétrique
paix cosmopolite,
la paix capitaliste,
la paix des rabougris, la paix mûr
tombant sans balance de chaque côté du mur, 
dans la paix qui gît dans les tombes,
la paix qui prend des rondes.
Ça ne sera cette paix
qui va m’offrir relais.
Je regains donc en solitaire
la maison exorcisée des mythes,
par où une crevasse de éclairage 
puisse faire glisser
de la dalle infinie des possibilités
le fantôme proscrit d’un monde à présent négligé. 
On dit que revenants ne sont plus vraisemblables,
mais je mas soupçonne que maintes de ces fables 
nous permettent encore de rêver
et seules nous accordent leur don de réalité.
Et qu’une belle matinée,
récemment levés, 
reprendront à nous hanter, 
même que par coïncidence ou aveugle hasard,
malgré notre aversion au contact,
même que par simple manque
ou épuisement des sujets de canulars.
Et ce jour-là
nous nous retrouverons finalement ensemble.

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