Roi c’est comme m'appelle les gens,
quoique d’un roi je ne porte
ni le nu ni le robe.
On pourrait me nommer tout de même
fontaine ou alors mendiant
sans que rien ne s’altère sur la terre.
Les paroles n’imitent ni se collent
aux trucs qu’elles ne dénotent
que par force d’une chance folle.
Et pourtant, s’il était à moi de décider
à mon entière discrétion, au sujet
de la pertinence des choses aux noms,
j’ordonnerais, par exemple, à la pluie
d’être appelée tout à l’heure bonheur,
car ainsi parée d’un si beau surnom,
qui sait si d’ici en avant
elle ne passe pas à tomber
d’un air moins bouleversé.
Ou sinon,
si on rappelle la tristesse sourire,
je suis sûr que tout d’un coup
ses yeux sombres éclateront
à la vue de nos visages grognons
d´une risée enjouée de joue à joue.
Être pris par le roi des cons ou des bouffons,
ce n’est pas quand même une piètre bagatelle.
Ça ne me flatte pas de toute façon,
puisque franchement je m’en fiche
si entre tous je défile
en prince ou vagabond.
Mais si les gens m’appelaint fontaine,
ils ne seraint pas complètement trompés,
car installé au milieu d’une place publique,
en jaillissant mes discours insensés,
je suis en fait une fontaine, mais d’un type
qui gicle des mots au lieu des eaux.
Et si être un mendiant n’est pas l’entier,
c’est au moins une partie de qui je suis,
vu que je n’ai pas de toit à me donner abri,
et que la somme des murs qui m’entourent
est exactement égale aux creuses orées
des sentiers que je parcours.
Mendiant ou roi sont des noms communs.
Ils désignent des ensembles et non des individus.
C’est enfin, peut-être, comme je préfère m’imaginer:
non spécifique, pluriel. Dans un âge
si comblé de choses, des noms propres et les grosses progénitures
ne sont plus praticables.
Nous sommes comme ces tramways bondés,
nous sommes au monde comme les gouttelettes
d’un océan à telle point amoncelées,
que personne n'écoute
ni les cantilènes des sirènes
ni les cris des naufragés.
Un mendiant est donc
quelqu’un comme tous les autres,
sauf qu’il ne s’est pas laissé devenir une autre chose
dans un monde plein des choses,
des choses qui étaint des étants suffisants, comme nous d’antan,
mais desquelles nous nous sommes convertis en des outils.
Et le chemin que je marche
est mon voyageur camerade.
À sa ressamblance, j’ai le même goût
de terre et la même senteur de boue,
et tel le sien mon destin
se situe dans un carrefour.
Ce petit-là qui me suit, c’est Diogènes, mon chien.
Je l’ai ainsi baptisé par moquerie, bien sûr,
mais aussi parce qu’il est un chien par nature,
et non seulement comme terme d’injure
ou façon de parler, de sorte que le nom lui appartient
du droit inné de quelqu’un qui mène sa vie en se promenant.
À part lui, un seuil et un sac à dos
composent tout ce qu’il y a de mien dans ce monde.
Mais la branche que je ramasse auprès d’un tronc
et que je tiens à la main en guise de bâton
m’ajoute de tous les oiseaux
qui s’envolent des rameaux.